Confinée


Son père lui avait dit de ne sortir sous aucun prétexte et d’attendre son retour des bois, le temps de faire sa ronde de nuit. Ce n’était pas la première fois que sa fonction de garde-champêtre l’oblige à s’absenter toute une partie de la nuit pour s’assurer que les braconniers ne séviraient pas. Elle avait certes l’habitude, mais un mauvais pressentiment la taraudait cette fois. 

 Il se moqua gentiment de ses craintes et lui assura qu’il n’en aurait pas pour très longtemps, les incursions en forêt allaient en s’amenuisant à mesure que le gibier se faisait rare avec l’hiver qui approchait. Il tolérait quelques prises de leur part tant que cela était raisonnable, mais il n’acceptait plus leur écart de conduite consistant à laisser des carcasses dépecées et des viscères éparpillés autour de leur feux de camp. Il avait donc décrété que cela suffisait. Cependant, il réitéra sa mise en garde et de rester confinée, à l'abri. Elle lui promit qu’elle attendrait son retour. 

 Elle le vit s’éloigner vers la forêt à la lueur de sa lanterne, et armé seulement d’un gourdin, « au cas où les esprits s’échaufferaient un peu » avait-il dit. Cela ne la rassura pas davantage, mais elle savait que son père avait un sens du devoir exacerbé depuis la mort de sa mère, et que ce travail assurait leurs subsistances et surtout, sa sécurité et son bien-être. Cela lui donnait l’impression que son père s’isolait et se sacrifiait pour elle, et cette idée lui était insupportable. 

Elle l’attendit des heures durant, mais la fatigue finit par l’emporter et elle s’endormit. 

Un hurlement lointain se fit entendre, mais cela ne la réveilla pas. 

Pas plus que le craquement de la porte. 

Il faisait déjà jour quand elle s’était réveillée, et elle se sentait désorientée, vaseuse, comme flottant à la surface d’un lac. Cependant elle était là, debout au milieu d’une pièce qu’elle reconnaissait à peine. Bien qu’elle eût conscience d’être chez elle, elle ressentait une impression étrange, que quelque chose avait changé mais un voile dans son esprit semblait masquer de quoi il s’agissait. En sortant peu à peu de sa torpeur, elle réalisa soudain qu’elle était seule. 

Paniquée, elle arpenta chaque pièce en appelant son père mais il n’y avait aucune trace de lui. Il n’était pas rentré. Ses craintes refirent surface et elle se rappela son mauvais pressentiment. Et s’il lui était arrivé quelque chose ? Cette idée la terrifiait, elle ne voulait pas perdre son père comme elle avait perdu sa mère. Résolue, elle décida de partir à sa recherche. 

Mais au moment de franchir la porte, elle sentit une force invisible la tirer en arrière. Légèrement d’abord, mais plus elle tentait de sortir, et plus cette force augmentait jusqu’à la faire tomber. Incrédule, elle se releva et regarda tout autour d’elle. Mais il n’y avait rien, seulement le silence. Elle tenta de s’échapper par les fenêtres, en vain. Cette force mystérieuse la retenait captive. Elle tourna en rond, cherchant désespérément à comprendre tout en pensant à son père. C’est alors que le voile se dissipa, et la réalité la frappa en plein visage. 

 La maison était en ruines. 

 Les murs, noircis par l’humidité étaient fissurés, et le plafond s’était effondré par endroit. A en juger par la végétation qui commençait à reprendre ses droits, cela faisait très longtemps que la maison était abandonnée. D’une fissure, un murmure semblait s’échapper. Elle tendit une main e direction du mur et constata avec effroi qu’elle était livide et décharnée. Sa longue robe noire flottait comme la fumée d’un feu, et elle comprit soudain qu’elle n’appartenait plus à ce monde. 

 La promesse qu’elle avait faite à son père lui revint. Elle ne quitterait plus cette maison tant qu’il ne sera pas rentré.

Le murmure se fit de plus en plus fort, et sembla engloutir la maison. Un craquement à l’étage se fit entendre, et la peur l’envahit. Elle alla se cacher sous l’escalier, mais personne ne descendit. Le silence revint, et elle s’effondra par terre comme une marionnette aux fils coupés. Dans un soupir, elle disparut.

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