Erinyes : Μέγαιρα



La flamme et le fouet avaient accompli leur office, le chemin avait été éclairé et la proie en partie lacérée. Son influence sur le monde déclinait à mesure qu’il faiblissait. La résistance face à l’oppression des tyrans gagnait du terrain à l’échelle mondiale, une conscience collective s’était éveillée contre la violence et les processus de paix se multipliaient. Les effusions du sang des innocents avaient presque cessé, mais cela n’avait en rien stoppé la Haine qui s’apprête à rendre son jugement. Un tremblement monta de la terre, que peu de gens purent ressentir mais un seul être savait ce que cela impliquait. Pour la première fois, la peur l’envahit. 

Μέγαιρα émergeait enfin de la terre. Ses ailes ne sont plus, les serpents sont morts, les torches sont éteintes à jamais. Toute de noire vêtue elle semblait humaine, mais la force qui émanait d'elle était plus que jamais divine. Les chants d'oiseaux cessèrent, la nature devint silencieuse par respect ou par crainte. Μέγαιρα était prête à terminer la traque que ses sœurs Ἀληκτώ et Τισιφόνη avaient commencé.  

C’était comme une seconde naissance, car elle ouvrait les yeux sur un monde nouveau, bien éloigné des temps mythologiques, grouillant de vie et bien plus vaste. Une chose cependant demeurait inchangée, la propension des hommes à se détruire mutuellement. Et cet instinct avait été amplifié par l’émergence du Premier des profondeurs du Tartare. Il était temps d’en finir et de rétablir l’équilibre. 

Elle gravit la montagne, humant l’air les yeux fermés. Le mal empuantissait l’air et corrompait la nature environnante. La piste était de plus en plus nette. Μέγαιρα souriait intérieurement. Aucune proie n’avait été aussi facile à traquer. Sa présence suintait littéralement tout autour d’elle, et plus exactement devant elle. Ce n’était plus qu’une question de minutes avant de le rattraper, et elle comptait bien savourer ce moment avant que s’abatte son jugement. 

Il sentait ses forces l’abandonner de plus en plus rapidement. Τισιφόνη l’avait lacéré, et il savait que ces blessures avaient scellé son destin, car pour cette chasseresse auquel nul n’échappe, c’était comme suivre un chemin tout tracé. Il avançait lentement, résigné, et en proie à un profond regret. Car son dessein ne s’était pas accompli. 

Il méprisait la race humaine, sa fragilité et sa propension à céder facilement à la tentation et la corruption. Les humains étaient une insulte à l’ordre naturel des choses selon lui. Lui qui était le dernier des Titans, le seul à avoir survécu à la colère des Dieux, il voulait venger les siens en faisant s’entretuer ceux qui avaient pris leur place sur Terre. Mais il avait échoué. Κρίος avait échoué. 

A bout de force, il arriva enfin au sommet, et s’effondra près d’une pierre immense. Il la regarda et ne put réprimer un sourire, car il reconnut sans peine la pierre où il avait commis le premier sacrilège, en tuant un innocent. La boucle était bouclée, tout allait finir là où tout avait commencé.  

Acceptant finalement son destin, il attendit. Mais cette attente fut de courte durée. 

Un mouvement qu’il perçut du coin de l’œil attira son attention, et alors il la vit. Et cette vision le pétrifia, car elle n’était plus la Furie austère et sombre de jadis. Une férocité nouvelle s’était emparée d’elle, une férocité qui était dirigée droit vers lui. 

Elle était tout de noir vêtue, mais la toge antique avait laissé place à des vêtements moulants, laissant deviner chaque muscle de son corps. Sa peau était marquée des symboles de son courroux, et ses yeux brillaient tels les yeux d’une panthère affamée. Il n’y avait ni serpents ni torches dans ses mains, mais ses ongles étaient des griffes noires prêtes à déchiqueter. Elle s’avança vers lui, en prenant tout son temps, tandis que lui reculait face à une menace plus terrifiante qu’il n’aurait pu soupçonner même dans ses cauchemars les plus sombres. 

Il trébucha et tomba en arrière, et tout à coup elle exécuta un saut surhumain jusqu’en haut de la pierre, autel sacrificiel impie, et le toisa longuement avant de s’asseoir.  

« Tu n’aurais pas dû fuir. » 

Ce furent ses seuls mots. Accompagnés d’un tintement étrange dont il ne parvint pas tout de suite à en percevoir l’origine. C’est au moment où elle se redressa qu’il les vit autour de ses bras. Non pas des serpents, mais des chaines ornées de crochets. Elle bondit du haut du rocher et se planta devant lui. 

Elle avança, tandis que lui reculait sur son séant tout en se redressant misérablement. C’est au moment où il fut debout que les crochets se plantèrent dans sa chair. Le feu du venin se répandit dans ses veines, et sa vue se troubla. Il tomba à genoux, et sentit son corps s’engourdir de plus en plus avant de distinguer la silhouette de Μέγαιρα avec le bras dressé, prête à frapper. Le coup plongea son âme dans les ténèbres, tandis que son corps tomba en poussières. 

Elle s’éloigna, et retourna sur le rocher adresser une prière à ses sœurs. Les crochets s’enflammèrent. 

« Nous sommes vengées. »

Commentaires

Articles les plus consultés