L'oracle


Les chuchotements des esprits étaient de plus en plus pressants à son égard, et allaient crescendo comme le brouhaha d’une foule impatiente. Des mots se détachaient pourtant, qu’il arrivait à distinguer sans peine.

« Rejoins-nous »
« L’heure est bientôt venue »
« Tu seras l’un des nôtres »

Il savait que les esprits ne mentaient jamais, et que ces appels à son intention annonçaient sa fin. Les doigts glacés de la Mort ne tardèrent pas à l’effleurer, et ainsi vint la maladie. Cependant il n’avait pas peur, car il savait que sa lignée perdurerait et que sa fille serait la digne héritière des traditions chamaniques. Ses dons s’étaient manifestés très tôt dans son enfance et elle avait été une élève assidue et attentive, aussi les traditions et les rites n’avaient aucun secret pour elle, mais elle n’était pas encore tout à fait prête.

Canaliser les esprits dans un jeune corps pour en transmettre la parole n’était pas sans danger. Il le savait, pour l’avoir vécu jadis. Alors sa fille devait faire ce qu’il avait lui-même fait lorsque son propre père lui avait légué ses dons.

Elle devait préserver le siège de ses connaissances et le conserver telle une relique. Le prélever de sa dépouille et y apporter tous les soins qu'exige la tradition, pour pouvoir servir de réceptacle, de catalyseur en attendant de maitriser totalement son don.

Elle devait prélever son crâne. 

Tous les villageois entouraient le bûcher funéraire, en un dernier hommage envers un pilier de cette communauté. C'était à sa fille que revenait l'honneur d'aider son père à rejoindre l'au-delà à travers les flammes. Et de mémoire d'homme, jamais flammes ne s'étaient élevées si haut.

Elle récolta les restes de son père au petit matin pour les inhumer dans un endroit secret, ainsi que le voulait la tradition, et elle emporta le crâne, noirci par les flammes mais toujours intact. Le reste du rite ne devait être vu de personne.

Une semaine plus tard, elle réapparut, le visage et les bras noircis par les cendres de la dépouille de son père. Et de la main droite, elle brandit le crâne. Il était noirci, mais une lueur semblait émaner de ses orbites vides, et il était orné d'inscriptions étranges. Les villageois s'approchèrent, stupéfaits. Elle se mit à danser, et exécuter des mouvements suaves et aussi légers que la brume. Puis un chant s’éleva, une litanie prononcée dans une langue inconnue.

Son regard noir fixa chaque habitant du village, tandis que sa danse devenait de plus en plus vive, ses pas s’accélérant tout comme ses paroles. La lueur que l’on avait aperçu dans les yeux du crâne se changea en une lumière incandescente, puis ce furent les mots qui s’illuminèrent. Le crâne tout entier rougeoyait dans la main de l’oracle, dont les paupières se fermèrent jusqu’à disparaitre totalement dans la noirceur de son visage.

Elle tomba à genoux, et le crâne s’effrita dans sa main. Les cendres fondirent, et coulèrent le long de son bras comme de l’encre. Le rituel était terminé, et la sagesse de son père ne fit plus qu’un avec elle. Elle se leva péniblement, et se retira dans la forêt.

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