La Veuve Noire



Il marchait depuis des heures, d’un pas fébrile mais rapide. L’impatience de revoir celle qu’il aimait le tenaillait depuis des jours et des nuits, aussi il se hâta. Elle avait insisté pour qu'ils se retrouvent à un endroit précis, au cœur d'une forêt de sinistre réputation. Cela lui importait peu à vrai dire. 

Elle était entrée dans sa vie comme une lumière rassurante qui apparait à la fin d’un rêve sombre. Des années de solitude et de frustrations qui s’étaient envolées du jour au lendemain après cela. Il remerciait le Ciel chaque jour depuis cette rencontre. Cependant il ne savait pratiquement rien d’elle, elle était mystérieuse et taciturne et répondait toujours à ses questions de manière évasive. Elle a ses raisons, se disait-il. 

La seule confession qu’elle lui accorda était l’importance qu’avait cette forêt pour elle. C’était son refuge, chaque arbre était une parcelle de ses souvenirs et de ses émotions. C’était également son terrain de jeu, lui avait-elle dit avec un sourire énigmatique. 

À mesure qu’il avançait, il se rendit compte que la forêt devenait de plus en plus dense, et que la lumière avait du mal à filtrer à travers le feuillage. Un malaise commençait à s’insinuer en lui. Il n’était pas sûr de pouvoir revenir sur ses pas s’il le fallait. Elle lui avait donné des indications pour qu’il ne se perde pas, mais il commençait à appréhender de ne pas la retrouver. 

Finalement, il arriva au lieu de rendez-vous, et elle était déjà là. C’était une patte-d’oie avec une souche recouverte de mousse en bordure. Elle était assise. Elle se tourna vers lui et lui adressa un léger sourire. 

Un frisson le parcourut. La voir lui procurait toujours cette agréable sensation, oubliée depuis tellement longtemps : en sa présence, il se sentait vivre. Il s'approcha vers elle et la prit dans ses bras. Elle était froide. 

Elle le repoussa doucement et recula de quelques pas sans le quitter des yeux. Il la regardait aussi, incrédule. Quelque chose n'allait pas, il commençait à s'en rendre compte. Il voulut lui parler, mais les mots moururent avant même de sortir de sa bouche. Elle tenait une rose noire, d'où venait-elle ? Elle était apparue sans qu'il s'en aperçoive. 

Elle tendit la rose vers lui, comme une offrande, en souriant. Rasséréné, il s'avança vers elle pour prendre ce sombre cadeau. C'est alors qu'elle tendit sa main libre au dessus de la rose pour la masquer. Le ciel parut brusquement s'assombrir, il leva la tête et vit des nuages noirs à travers la végétation recouvrir le ciel. Un rire le sortit de sa torpeur, et il la regarda puis se figea d'horreur. 

En lieu et place de la rose, elle tenait un crâne humain. Il lutta pour en détacher son regard et se tourna vers celle qu'il aimait, mais qu'il ne parvenait pas à reconnaitre. Un sourire dément déformait son visage. Elle s'avança vers lui lentement. Dans son autre main, elle tenait une hache. Il recula brusquement, trébucha puis se mit à courir pour échapper à ce cauchemar. 

Mais elle savait qu'il ne pourrait pas lui échapper. La forêt était son domaine. Chaque arbre était le témoin de ses nombreuses chasses et mises à mort. Chaque arbre avait reçu sa part de sang, le sol sa part de chair. Au bout d'une interminable course il finit par tomber et se blesser. Il ne put se relever, seulement voir l'objet de ses désir transformé en être de cauchemar dressé devant lui, le contemplant comme du gibier au moment de la curée. Une lumière diffuse se refléta sur la lame de la hache qui était en train de s'abattre sur lui, ce fut la dernière chose qu'il vit avant que les ténèbres ne s'abattent sur sa conscience et aspirent sa vie. 

Elle repartit avec l'objet de sa convoitise, laissant sa dépouille derrière elle. Elle plongea son regard dans les yeux vitreux de son amant, le sang perlait encore de son cou tranché. Un couteau à la main, elle entreprit de dépecer son trophée. Elle lava ensuite délicatement la surface lisse du crâne de son amant, sa proie, et retourna dans son repaire. Attendant un nouvel amant, une nouvelle victime, une nouvelle offrande. 

La toile était tissée.


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