Le Fossoyeur


Il avait creusé tellement de tombes, mais il se souvenait de l’emplacement de chacune d’entre elles et du nombre de personnes qui avaient assisté aux inhumations. Ce n’est pas qu’il était particulièrement sentimental, mais sa mémoire était remarquablement développée et il était capable de retenir le moindre détail. 

Le village était satisfait de lui. Jamais malade, il se levait aux aurores pour exécuter sa besogne avec vigueur et précision. Le cimetière était impeccablement entretenu et les fleurs disposées avec soin sur les sépultures après le passage des familles venues rendre hommage à leurs proches disparus.

De tout temps cependant, les gens qu’il avait côtoyés le trouvaient étrange, distant et froid. Ils ne furent pas étonnés lorsqu’il décida d’embrasser le métier de fossoyeur. Il ne faisait pas grand cas de ce que les autres pensaient de lui à vrai dire. La compagnie des vivants le répugnait, il préférait le calme des cimetières qu'il fréquente depuis toujours.

La mort le fascinait, et creuser des fosses l’obsédait. « Tu es poussière et tu redeviendras poussière » était son seul credo. Le monde était pour lui un cimetière où les vivants n’étaient que de la poussière attendant de retourner à la terre. Chaque mètre carré sur lequel il marchait constituait une fosse qui n’attendait que lui pour être découverte. Le cimetière du village ne lui suffisait plus, et lui paraissait horriblement petit à mesure que le temps passait.

Il prit sa pelle et se dirigea vers la forêt non loin du village. Il marcha longtemps, puis, comme s’il répondait à un appel, entreprit de creuser le sol recouvert de feuilles de chêne. Puis finalement, une fosse. Il la contempla longuement, et avec déférence, comme si cette fosse devait accueillir un roi. Soudain, il ressentit un étrange malaise. Un voile noir commençait à recouvrir son esprit. Il lâcha sa pelle, puis plus rien.

Combien de temps s’était-il écoulé avant qu’il ne reprenne ses esprits ? Il ne pouvait le dire. Mais il vit que le jour avait fortement décliné. Il s’aida de sa pelle pour se relever et rebroussa chemin quand il vit que sa fosse était comblée. Quelque chose attira son attention. Il regarda de plus près et quand il comprit ce que c’était, il recula brusquement et lâcha sa pelle.

Une main émergeait de la terre.

Les doigts étaient frêles et délicats, il comprit que c’était là la main d’une femme. Il prit sa pelle avec hâte et voulut exhumer l’infortunée mais s’arrêta net en voyant la pelle. Du sang maculait la terre qui était dessus. Il comprit.

Il tomba à genoux, et plongea ses mains dans la terre fraîchement remuée. Il arracha une poignée de terre mêlée de feuilles pourries, regarda le ciel et hurla. De honte, il cacha son visage et ses mains recouvertes de terre humide le souillèrent, mais il s’en moquait. Puis il se figea.

Ses mains descendirent lentement, et révélèrent un visage hagard et un regard vide. Il venait de comprendre quel était son but à présent.

Creuser des tombes, et les combler.

D’une manière ou d’une autre.

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